La premi?re reproduction
d'Acreichthys tomentosus

par Iris Bönig

La popularité des poissons-limes a fortement grandi au cours de ces dernières années, car cette espèce de poisson constitue l'une des rares espèces qui consomment presque sûrement les anémones de verre (Aiptasia sp.) et les anémones de feu (Anemonia cf. manjano). Un subite montée en puissance d'anémones de feu à été la raison de l'achat pour notre aquarium de ce poisson-lime plutôt effacé.

Couple d'Acreichthys tomentosus.

Effacé ? Mais non ! En l'observant de plus près, ce poisson paraît pourtant très intéressant ! Les poissons-limes possèdent la capacité de très bien s'adapter à leur environnement. S'ils nagent au dessus d'un fond visiblement plus lumineux, la coloration s'éclaircit, si les animaux se trouvent entre des algues vertes les poissons apparaissent dans une couleur verte soutenue. Certains aquariophiles trouvent même ce poisson affreux. Je ne fais cependant pas partie de ces aquariophiles, car pour moi ce poissons-lime est particulièrement intéressant car il a éliminé en très peu de temps la totalité de nos anémones de feu. Il a également apprécié les quelques anémones de verre présentes dans le bac !
Mais au bout d'un certain temps nous avons constaté que A. tomentosus développait un certain penchant pour l'anémone Entacmaea quadricolor et qu'il prenait un malin plaisir à croquer les extrémités de l'anémone. Mais, d'où ce poisson peut-il savoir quelles sont les anémones qu'il a le droit de manger et celles qu'il doit ignorer ? Nous ne lui en avons pas voulu, mais il fallait trouver une solution si nous voulions encore profiter de l'anémone.
J'ai eu l'idée de placer le poisson-lime dans notre bac à algues peuplé d'hippocampes, car là il y avait de meilleures cachettes pour lui que dans le bac récifal ! Certes il n'y avait pas d'herbier mais du sable fin et des Caulerpa.

Après le transfert
Peu après le transfert j'ai remarqué que la dame poisson-lime n'avait pas le même comportement que dans le bac récifal. Elle nageait beaucoup plus librement parmi les hippocampes et les abondantes portions de Mysis distribuées plusieurs fois par jour, ce qui semblait particulièrement lui plaire.
Plus tard, lorsqu'un jour j'ai regardé dans l'aquarium j'ai remarqué que chaque animal présent dans ce bac possédait un partenaire sauf notre dame poisson-lime. Je me suis alors renseigné en ce qui concerne la maintenance en couple. Et j'ai même pu trouver quelques informations concernant l'émission des oeufs. Ceci m'a motivé et je me suis rapidement procuré un mâle.
La diff?rence sexuelle entre ces poissons est relativement simple ? reconna?tre : les m?les portent une "brosse" ressemblant à une fermeture velcro au niveau du pedoncule caudal (en ce qui concerne la "brosse" il s'agit d'annexes glanduleuses de peau, qui en cas de besoin peuvent modifier la couleur et l'intensité de celle-ci)

Acreichthys tomentosus (mâle)

Par la suite j'ai remarqué, en observant de plus près le couple, que le mâle possédait une voûte entre la nageoire ventrale et la nageoire anale. La femelle par contre possède une ligne droite à cet endroit. Il serait intéressant de vérifier ce détail chez d'autres espèces de poissons-limes.

Acreichthys tomentosus (femelle)

La première ponte
Après avoir libéré le mâle dans l'aquarium, il a été chassé dans un coin par la femelle. Il ne semble pas que le nouveau partenaire ait déclenché la joie chez la femelle. Cependant, j'ai découvert la première ponte après trois semaines déjà, ponte que l'on pouvait à peine découvrir camouflée dans le sable et collée avec du sable fin d'aragonite. Contrairement à de nombreuses données littéraires c'est la femelle qui s'occupe du soin de la ponte, ne s'éloignant pas de plus de 10 cm du lieu de ponte pendant cette période. Les oeufs sont ventilés en permanence à l'aide des nageoires pectorales et très attentivement défendus envers les intrus y compris le mâle. Naturellement je voulais savoir s'il était possible de reconnaître quelque chose à l'intérieur des membranes embryonnaires. J'ai donc aspiré quelques oeufs au grand désespoir de la femelle qui essayait de les protéger. Je n'ai rien pu reconnaître sous le microscope. Les oeufs restant ont été séparés dans le but d'autres observations. La ponte a disparu après le troisième jour et les oeufs séparés ont commencé à moisir. J'ai essayé de rassembler un maximum d'informations concernant l'élevage d'A. tomentosus, mais j'ai malheureusement dû constater qu'il n'existait pas de données concernant ce sujet. Aucun essai n'avait-il été réalisé jusqu'à présent ? Ceci m'a naturellement fortement motivé.

La deuxième tentative
Je ferais remarquer que le mâle arbore une couleur de fond très claire durant la pariade. La femelle se colore en un vert lumineux avec plusieurs grosses taches, répartie sur l'ensemble du corps. Jusqu'à présent je n'ai toutefois pas pu observer la ponte. Dans notre local à aquariums nous éclairons surtout avec la lumière du jour et la ponte était déjà présente dès les premières heures du jour. Quinze jours plus tard le moment était de nouveau arrivé. La femelle surveillait une ponte, qui ne se trouvait pas au même endroit que la première mais située un peu à l'écart. Chaque jour je vérifiai si la couleur, la taille ou l'aspect des oeufs avait changé. Au soir de la troisième journée j'ai noté que les oeufs étaient plus sombres que le matin et j'en ai ainsi aspiré quelques uns afin de faire des photos. J'ai découvert les premières larves sous le microscope, qui ont éclos directement dans une boîte de Petri avec une taille de 2,7 mm. Nous étions assez étonnés !
En les aspirant, avais-je incité les larves à éclore? Trois jours à peine s'étaient écoulés depuis la ponte. Comme il y avait encore des oeufs pleins, j'ai transféré les larves avec le reste des oeufs dans un petit verre tout en l'aérant.

Femelle au dessus de la ponte

Les larves
En observant les larves nous avons remarqué que les yeux n'étaient pas encore présents. Uniquement les orbites ainsi qu'un gros sac vitellin étaient reconnaissables. J'entrepris de faire des photos des larves aussi longtemps que cela était possible, afin de pouvoir étudier leur développement. La nuit j'éclairai l'aquarium avec une lampe de poche, afin de voir, comment la ponte se portait. A ma surprise elle avait disparu. J'apercevais quelques larves isolées qui nageaient, mais j'ai décidé de maintenir en vie avec tous les moyens à notre disposition toutes les autres larves mises en sécurité.
Au cours des premières heures les larves dérivent à travers le r?cipient d'?levage la t?te inclin?e vers le bas. Dans l'obscurit? j'ai test? avec une lampe de poche si elles ?taient phototropes mais je n'avais pas l'impression qu'elles ?taient attir?es vers la lumi?re.
36 heures après l'éclosion j'ai vu leurs yeux pour la première fois. A partir de cette heure le sac vitellin n'était plus présent et sur la tête une petite bosse poussait!

Larve de 12 heures

Larve de 71 heures

Larve de 18 jours

Larve de 23 jours

Alimentation
Il s'agit maintenant de trouver la nourriture adéquate ! A cause de la taille des larves je me suis décidé pour des nauplies de Brachionus et de copépodes, mais j'ai rarement pu observer une prise active de nourriture. Toutefois les ventres étaient remplis et rebondis. Comme nous n'avions pas de phytoplancton disponible, j'ai utilisé dans le bac d'élevage le concentré de phytoplancton vivant DT's Premium Reef Blend, afin que les Brachionus obtiennent également une bonne valeur nutritive. Après 92 heures, la première épine rallongée de la nageoire dorsale a commencé à pousser. Les larves se sont développées à une vitesse accélérée par rapport à d'autres larves de poissons. Ceci m'a donné le sentiment que je faisais tout correctement. Du sixième au septième jour l'épine de la nageoire dorsale s'est nettement allongée et à partir du cinquième jour la nourriture de suite était uniquement constituée de Brachionus.
Entre temps je suis entrée en relation avec un éleveur (RCT) de Hawaii, afin d'échanger des expériences concernant l'élevage. Là j'ai eu le renseignement de Frank Baensch comme quoi il ne savait encore rien concernant l'élevage de poissons-limes. J'ai obtenu la même réponse des USA.

Larve de 23 jours

Juvénile de 8 semaines

La m?tamorphose
A partit du dixième jour les larves ont changé de comportement. Elles se tenaient près de la bande de silicone du bac d'élevage. Rapidement j'ai décidé de mettre quelques algues de l'espèce Chaetomorpha linum dans l'aquarium. A partir de ce jour elles consommaient déjà des nauplies d'artémias fraîchement écloses. Le soir la première génération présentait davantage de pigments dans la zone de la tête que les larves écloses plus tard. Les larves commencent elles déjà la métamorphose ? Oui, car les larves modifiaient leur aspect chaque jour. La pigmentation augmentait. Au début les tons rouge-brun dominaient, plus tard le vert apparaissait de plus en plus. Le corps commençait à se couvrir des typiques excroissances.
Gagn?, les premiers 8 poissons-limes ont ?t? ?lev?s. Au cours des quatre prochains mois les poissons ont atteint la belle taille de 4 cm ! Entre temps j'ai ?galement ?lev? la deuxi?me ponte avec un total de 56 jeunes !

Bilan
Je suis intimement convaincue que nous pourrions élever beaucoup plus d'animaux marins, si nous osions tenter le premier essai. Dans le domaine des multiplications de coraux les choses ont évolué favorablement au cours des dernières années mais hélas la multiplication des poissons, des crevettes, des crustacés, des escargots, etc. est encore à la traîne. Ceci peut être dû au fait que beaucoup d'aquariophiles marins pensent que l'élevage constitue un grand secret. Mais est-ce vraiment cela la cause ? Si mon rapport a éveillé des vocations je serai ravie si nous pouvions échanger des informations sur : www.meerwasser-nachzuchten.de

Cette première reproduction d'Acreichthys tomentosus a fait l'objet d'une conférence lors du 5ème congrès Récif France qui s'est tenu à Strasbourg les 9 et 10 juin 2007.